LES CORONS

Publié le par Alain

coronsarenberg.jpg

Gens de « Ch'nord! »

 

                  Lens! Novembre, vendredi dix-neuf heures. L'usine ou je devais charger est fermée. J'ai le moral dans les chaussettes. Depuis ce matin tout un tas de pépins m'ont retardés!            Rentrant de Belgique, à vide je devais passer la frontière rapidement. Las! Je tombe en plein dans une grève du zèle des douaniers français! Pendant que ces messieurs jouent à: je vérifie, tu vérifies, nous vérifions... la file des camions s'allonge et l'attente aussi!

                   Je parviens à passer. Pluie et froid! A Loos, accident. Je me trouve pris dans un embouteillage. Re-retard! Me voilà bloqué pour le week-end! Célibataire, sans famille, ce n'est, à priori, pas vraiment un problème.
                    J'ai quand même un souci! A cette époque les chèques sont encore rares et les cartes de crédit inconnues! Je suis à cours de liquidités. En réserve j'ai de quoi me restaurer, pour deux jours la cabine sera mon salon!
                  J'ai garé le bahut sur une petite place en face de l'usine. Devant moi une rue pas très bien éclairée ou voisinent des maisons toutes identiques: les corons... Le froid est vif, pas un chat dehors! Rideaux tirés, je suis dans un cocon. Radio, lecture, dodo! Une bonne nuit de repos sera bienvenue!
                   Au matin surprise, il a neigé cette nuit. Deux à trois centimètres à peine mais le paysage est plus attrayant! Je me réveille de bonne humeur! (Il faut dire que je ne suis jamais très longtemps maussade!) Il y a un gardien à l'usine, je lui demande si je ne pourrais pas prendre une douche. Ce brave homme accepte de m'ouvrir un vestiaire. J'en ressort propre, rasé de prés! Le gardien m'offre un café, je passe la matinée à bavarder avec lui! Il me demande: « Vous ne vous ennuyez pas dans votre camion? » « Non! J'ai des livres et la radio! »
                   Je rejoint ma cabine. La neige tient. Malgré le froid, l'après-midi voit plus d'animation. Des enfants qui passent en riant, des adultes qui jouent les équilibristes sur la neige gelée! Vers dix-huit heures je m'aperçois avec horreur que je n'ai plus rien à lire!         Après un temps d'hésitation je me décide! Je vais vers la première maison de la rue. C'est un vieux monsieur qui ouvre. Je lui explique qui je suis et demande: « Si vous aviez quelques romans policiers à me prêter.... » «  A mon âge je ne lis plus que journal....attendez, ma voisine est institutrice, elle aura bien un livre.. » Je le remercie mais il ajoute: « Je vais vous accompagner, elle aurai peut-être peur d'ouvrir à un inconnu! » Malgré le froid et le sol glissant il me précède.
                   La voisine est surprise, elle réfléchit un instant puis me confie plusieurs bouquins! Elle questionne: « Vous allez rester là demain? » « Jusqu'à lundi, Madame, je vous rendrais les livres demain soir! » Je la remercie ainsi que son voisin. La soirée ne sera pas trop longue grâce à eux!
                   Au matin, sur la place et dans la rue, il y a tout un monde soigneusement emmitouflé! Les gens se saluent puis se hâtent de rejoindre leurs maisons: il fait plutôt froid!                                                                                                                                                       
Je mets un peu d'ordre dans la cabine quand on frappe à la portière! C'est un homme dans la quarantaine, grand, blond, les yeux très bleus, le visage souriant! « Ma femme vous a prêtée des livres. Vous allez rester ici toute la journée? » « Oui! » « Pourquoi vous ne viendriez pas chez nous!.... »
             J'hésite à répondre, j'ai peur de gêner. Il semble comprendre mon hésitation: «  Venez donc, c'est pas bon d'être seul, vous ne dérangerez pas, sais-tu! ». Cette invitation est si naturelle, si simple, si spontanée que je ne peux qu'accepter!
                 Je suis reçu comme un vieil ami. Je fais connaissance avec une gentille petite fille du nom de Jeanette aussi blonde que son papa! Excellent repas, café, un peu de télévision, je ne suis pas un amateur de la petite lucarne et j'entame une partie de dames avec la petite fille, je suis battu sans discutions. Des voisins viennent faire une visite, café encore, nous bavardons de choses et d'autres. La journée passe rapidement. Ces gens sont incroyablement gentils, j'ai l'impression de les avoir toujours connus. Après le dîner la petite fille doit aller dormir, école oblige. Quand elle vient me dire bonsoir elle tient un livre: « C'est pour toi, tu auras de quoi lire! » C'est une B.D '' Nounouche la petite ourse''
                 Peu de temps après je quitte mes hôtes, après les avoir grandement remerciés, demain le travail reprends ses droits.
                Au moment de partir je tends la B.D au papa: « Je ne voudrais pas priver votre fille de son livre... » « Non, me dit le père, gardez-le, elle vous l'a donné,elle ne saurai le reprendre et aurai beaucoup de peine si vous refusiez... » Je comprends qu'ici on ne reprend pas ce qu'on a donné! En regagnant ma cabine je lève les yeux, le ciel est clair et la lune brille!
Petite histoire sans véritable intéret. Parmi mes B.D j'ai toujours ''Nounouche..'' Et le souvenir de l'hospitalité sans réserve des gens de « ch'nord 
Et aussi ces paroles: « Au Nord c'étaient les corons....! »

 

 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Tu as réussi à me tirer la larmichette de l'oeil...Il faut dire que j'ai la nostalgie du temps où nous n'avions pas besoin de nous méfier des autres et où la spontanéité de l'accueil des autres était naturelle...C'est une histoire très touchante, merci de nous en avoir fait profiter!<br /> Biz du Pays d'Auge<br /> Caro
Répondre
C
Cette histoire est loin d'être sans intérêt. Elle prouve que l'hospitalité et la générosité ne sont pas que des idées utopistes mais se traduisent par des faits bien réels. C'est encore une fois une très belle histoire. Merci, et surtout continuez !
Répondre
F
Et bien voilà, c'est quand même mieux que sur center blog pour te laisser des coms. Si j'avais su, je serais venu plus tôt ici. Et puis il y a plus de monde qui vient te voir. Nouveau com pour le prochain article ;-)
Répondre
P
Merci à vous tous pour vos commentaires plein d'indulgence.<br /> Planeth: Ca fait parti du métier, (les routiers sont souvent des intravertis) et c'était relativement courant dans ces temps anciens. Nous aurions pu être de bon cosmonautes!
Répondre
P
J'adore cette histoire.Mais comment rester de bonne humeur quand on se voit obligé de rester loger dans un camion en hiver tout un WE???Tu es un extra-terrestre?;0)
Répondre