LE BALLON ET LE LION!

Publié le par Alain

Les ''pistes'' de l'étoile!


                        C'est de curieuse façon que Toussaint Napoléon Charlemagne M'Boué dit Charlot fut recruté par les frères Cabassol de Manosque.

                       Ses vingt ans l'amenèrent de Dakar à Forcalquier dans les bagages d'un dirigeant du club de football local. Charlot rêvait de devenir un grand gardien de but et il en avait les capacités.

                       Une fois réglés les détails annexes comme le logement, le travail, le salaire et autres bêtises de la vie courante, il put revêtir le maillot rouge (« Ca va bien avec mon teint! » disait-il) apanage du dernier défenseur de l'équipe. Charlot, talentueux, toujours de bonne humeur, avait le rire communicatif! En deux saisons il devint la vedette incontestée du stade...

                       Dernier match de la saison. Match décisif! Crucial! Une résultat nul suffit pour que le club accède à la division supérieure. Les supporters sont plus qu'excités... La partie approche de son terme. Zéro à zéro! Il reste à peine une minute à jouer quand l'arbitre (un traître!) siffle un penalty contre l'équipe de Charlot.

                       Protestations, bousculade, les joueurs se pressent autour de l'arbitre. Cris et insultes fusent des tribunes! Au milieu de cette agitation seul Charlot semble garder son calme. Un geste pourtant indique sa nervosité: il jette, d'un mouvement brusque, sa casquette au fond des filets! L'homme au sifflet maintient sa décision.

                       Le tireur prend son élan, shoote... Bond de fauve! Charlot parvint à bloquer la balle... Le stade explosa! Ses coéquipiers se précipitèrent! Fier, souriant, le héros du moment se dégagea des étreintes, puis calme, d'un pas ferme, assuré, ballon sous le bras, il entra dans le but pour ramasser sa casquette...

                       S'il ne fut pas lynché ce soir là, il le dut à sa vitesse de course et à la camionnette des frères Cabassol venus voir le match en voisin! L'ainé des Cabassol l'y découvrit le lendemain, endormi sous une bâche.

                       Pour éviter d'éventuelles représailles et aussi l'embarras de se trouver devant ceux qu'il avait condamnés à la défaite Charlot resta à Manosque. Délaissant ses rêves de gloire footbalistique, il devint routier. Par un ballon bloqué, le petit lutin hasard donna un chef d'entreprise au Sénégal!*

                      Chez le Vieux nous avions immédiatement sympathisé. Ce jour là nous étions chez le même client qui, pour une raison indéterminée, avait fermé son atelier. Il ne nous restait qu'à faire ''contre mauvaise fortune, bon coeur...'' et à passer la soirée dans la joyeuse cité de Sedan!

                       En quête d'un restaurant, une affiche attira l'attention de Charlot! « Tu as vu! Le cirque Pinder est ici! On se paye une séance après le repas? »

                       J'aurai du me douter qu'une soirée au cirque avec Toussaint Napoléon Charlemagne ne pouvait pas être une soirée normale! J'achetais nos places quand la voix de Charlot dominant le brouhaha ambiant s'éleva: « Prends une loge! Je veux bien voir, moi! »

                         « Attends-moi! »... Même dans la foule un colosse noir léchant, avec des mines de chatte gourmande, une grande sucette multicolore ne passe pas inaperçu! Pas plus que son rire tonitruant durant le numéro des clowns!

                         A l'entracte les garçons de piste ont installés la cage ou le dompteur Gilbert Houcke va officier. Ce célèbre belluaire fut l'un des premiers partisans du dressage en douceur! Les lions et les tigres sautent, tournent, feulent ou rugissent à la demande! Puis le dresseur fait sortir quelques animaux. Dans la cage ne restent plus que trois lions.

                          « Mesdames, Messieurs! » Monsieur Loyal aboie dans le micro: « Le cirque Pinder offre une prime au spectateur qui osera pénétrer dans la cage avec Gilbert Houcke pour participer à la fin du numéro! »

                          Pas le temps d'intervenir, d'un bond Charlot est debout: « Moi! »... Dans la cage le dompteur, avec un grand sourire, installe mon copain sur un tabouret avec quelques conseils: « Pas de gestes brusque! Ne criez pas... » Les lions, soigneusement guidés, passent, repassent frôlant Charlot.

                         Le plus gros des fauves, bien dressé, rugit régulièrement à la manière du lion de la Métro Goldwin Meyer, découvrant des crocs impressionnants! Je remarque que la moue de Charlemagne est un rien figée et que son teint a prit une couleur tirant sur le gris...

                         L'exhibition se termine. Sortie des animaux. Tandis que Gilbert Houcke fait applaudir son aide improvisé, au micro, Monsieur Loyal félicite le « ...courageux spectateur gagnant de la prime... » Mon ami vient se rasseoir. Un clown se précipite avec une poignée de grands billets de la Sainte Farce qu'il dépose sur ses genoux sous les rires du public!...

                         Retour aux camions. Charlot affiche un air maussade. « Tu veux prendre un dernier café? » Il me jette un regard... noir! « Non merci! Bonne nuit. » Il monte dans sa cabine, claque la portière, disparaît derrière les rideaux!

                        Lever au petit matin! Mon pote a les traits tirés. « Toi, tu as mal dormi! C'est ta ''prime'' qui te fait ça? » « Mais non... M'en fout la prime! C'est ce fichu lion! » « Le lion? Pourquoi le lion? » « Parce que ce maudit bestiau, cette nuit... il m'a bouffé au moins dix fois.... »


* Voir ''Le tiercé selon Charlemagne''

PS: Un petit hommage à Gilbert Houcke partisan de dressage en douceur, qui fut l'un des premiers, sinon le premier, à traiter humainement les animaux, préférant s'en faire aimer plutôt que de s'en faire craindre!.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
ça ne s'invente pas des histoires comme ça! Je suis bien triste pour Charlot qui n'a pas pu mener sa carrière de footballeur comme il en rêvait...Et se faire bouffer toute la nuit par un lion, elle est pas mal, celle-là!<br /> Biz du Pays d'Auge<br /> Caro
Répondre
P
Planeth: Avec Charlot l'ambiance était toujours très particulière!<br /> Crabillou: A cette époque les mots "respect des animaux" et "protection des espèces" n'étaient pas à la mode!<br /> Si tu peux prendre le temps d'aller lire "Le tiercé selon Charlemagne" tu verras que Charlot était un type pas habituel! Et comme tu es de ma génération tu y retrouveras l'atmosphère des tiercés dominicaux!
Répondre
C
En tant qu'ami des animaux, j'ajoute mon hommage au tien. C'est la méthode de Gilbert Houcke qui est la moins mauvaise...La meilleure serait de laisser les lions dans leur savane, mais ça créerait du chômage dans les cirques. Rien n'est simple !<br /> Sacré personnage ton pote Charlot !<br /> Salut l'ami...
Répondre
P
comme d'hab j'adore l'ambiance, ça file toujours autant la pêche tes histoires..;0)
Répondre
P
Titange: Merci de ton passage<br /> Anne-France: Et bien réelle en plus! Y avait de quoi cauchemarder!<br /> Sylvie: Charlot a eu trois fils et je peux dire qu'ils ressemblent à leur père!
Répondre