PETIT CONTE AMER ET VRAI

Publié le par Alain

camion-fosse.jpgC'est pas gai!

 

 

      Larbi! Vous vous souvenez de Larbi... Hé!, La Gauloise, l'Alsaco, Double-mètre Vous l'aviez oublié
        Larbi c'est pas son nom, en réalité il s'appelle Slimane et c'est vous qui l'avez surnommé comme ça parce qu'il est arabe, ça l'a fait rigoler, il s'en fout il est né en France. A Carpentras, dit-il, fièrement!
       Pas doué pour l'école le gamin, alors à seize ans le voilà apprenti mécano aux Transports Marcel B... à Plan-d'Orgon sous la férule du père Grazianni.
Mauvais élève mais bon mécanicien. Il a beau être arabe la guerre d'Algérie et l'Indépendance ça lui passe au dessus de la tête. Lui veut être routier comme vous! Les toubibs du service militaire lui ont trouvé un truc quelconque et l'ont réformé. Il est revenu des « trois jours » rayonnant.
       Depuis il a passé son P.L. et attend que le « Patron » l'envoie sur la route. Pas trop pressé le patron, les bons mécanos sont rares et le père Grazianni approche de la retraite!
Lundi matin six heures, comme tous les lundi le patron est dans la cour, satisfait, tous les bahuts sont partis, « ça roule », il repousse sur sa nuque son éternel feutre noir et savoure un instant de détente qui ne dure pas, du bureau vient de jaillir « La Blouse » l'affrêteur qui n'a même pas prit le temps d'enfiler son habituel vêtement de travail.
        « On a un pépin, patron, les trois tonnes de salades pour la Seyne sont encore dans le frigo! » « Nom de D...! Pourquoi? », « Trois tonnes ça fait pas lourd, je les ai oubliées dans le plan de chargement. », « Z'étes un c..., La Blouse, vous foutrais bien dehors si je ne craignais d'avoir a vous payer cher...On doit livrer quand? », « Demain matin! », « Et personne ne rentre ce soir? On a plus de camion, on a plus de chauffeur...... », « On a encore un camion et encore un chauffeur... ». La voix vient du garage, « Qu'est-ce que tu racontes Larbi? », « Patron on a le vieux Berliet et moi j'ai mon permis! ».
         Le patron sait que Larbi peut conduire mais le vieux Berliet! C'est un bahut qui date d'avant guerre et que Larbi a remis en état petit à petit. Il se tourne vers Grazianni: « C'est faisable tu crois? »,
          « Le gosse est bon mécano et bon chauffeur, trois tonnes c'est peu même pour ce camion et La Seyne n'est pas loin! Oui, ça doit coller! »
          Et ça colle. A neuf heures chargement fait, papiers en règles, Larbi est enfin « Routier ». Le Berliet avale gentiment les kilomètres, pas bien vite mais régulièrement.
Il y a de la circulation. Au mois de Juin c'est normal. Voici Aubagne, puis Cuges-les-Pins, le moteur chauffe un peu. Larbi a hâte d'arriver au plateau de Signes après Cuges, ou il trouvera un relais routier avec un grand parking. Il pourra se reposer et laisser le Berliet refroidir.
          Quinze heures, ça repart, Larbi n'est plus très loin du but, encore un passage délicat: la descente de la forêt de Font Blanche avant d'arriver au Beausset, pas longue mais pentue et sinueuse, le talus à gauche et le ravin à droite. Les freins du Berliet sont un peu faiblards mais en usant de la boite de vitesse, descendre en seconde, en sollicitant la pédale aussi peu que possible, tout doit bien se passer.
         Larbi conduit tout en douceur, la circulation est dense, aussi bien dans le sens de la descente que dans celui de la montée. Ne pas laisser le camion prendre de la vitesse! Soudain, de derrière, un impatient déboîte, double en catastrophe et se rabat brusquement! Larbi doit freiner dur pour ne pas le percuter.
        C'est une voiture bleue avec une plaque étrangère. Par la lunette arrière Larbi a aperçu deux frimousses blondes qui rient et lui font de grand signes. Larbi maintient une distance de sécurité à petits coups de freins. La voiture bleue s'éloigne. Soudain le moteur se met à grogner! Une petite pression sur les freins, le moteur grogne plus fort, la voiture bleue se rapproche, Larbi appuie sur la pédale de frein: elle s'enfonce jusqu'au plancher. Le frein à main, vite, le bahut ralentit un peu puis le moteur se remet à grogner, il faut se jeter à gauche, sur la paroi rocheuse pour se ralentir, mais dans la file montante les voitures sont l'une contre l'autre et personne ne semble comprendre les appels de phares désespérés!
         La voiture bleue est maintenant toute proche et les gamins, qui croient à un jeu, font de grands signes avec de grands rires. Alors Larbi tourne le volant vers la droite. Le muret de pierres sèches ne résiste pas au choc.
        Les voitures qui suivaient le Berliet ont vu l'accident et s'arrêtent, de même que celles qui montaient. Les gens se précipitent. Ces véhicules arrêtés préparent un formidable embouteillage, mais un habitant d'une villa au-dessus de la route a vu la chute du camion et alerte la gendarmerie.
        Les gendarmes sont vite sur les lieux et la circulation reprend. Puis les Pompiers interviennent à leur tour. Sur la route, en attendant que l'on vienne sécuriser l'endroit, un gendarme monte la garde à coté du muret défoncé. Sous le soleil sa faction l'ennuie. De là ou il se trouve on aperçoit, au fond du ravin,150 ou 200m plus bas, une carcasse de camion démantelée et des salades éparpillées.
       Passe un cycliste qui visiblement connaît le gendarme: « Salut Jules, qu'est-ce qui c'est passé? ». Le gendarme lève son képi, s'essuie le front, hausse les épaules: « Bof! encore un bougnoul qui croyait que conduire un camion c'était comme conduire un chameau! »
Oraison funèbre pour un Routier! Adieu Larbi!
 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Quelle tristesse que cette histoire d'un homme qui n'avait qu'une envie, être un chauffeur comme tant d'autres...<br /> Biz du Pays d'Auge<br /> Caro
Répondre